ANTHOLOGIE

Îlots: Bonjour! (également relié aux ilots Bruits, Micro/Macro, Recyclage, Témoins, Utopie)
Glossaire: Abstraction, Arte povera, Bande magnétique (manipulation), Bruitisme (génère du bruit pur / inclus les micro-sons amplifiés), Collage / Cut up, Détails agrandis / Micro-sons, Grain / Matière, Haute fréquence, Live electronics, Musique concrète, Musique électro-acoustique, Musique électronique, Noise, Ordinateur, Pionniers, Silence, Sons ténus, Texture minimale

La tâche semblerait gigantesque, presque prétentieuse, si d’emblée n’était précisé qu’il ne saurait ici être question d’exhaustivité. Présenter en sept volumes un panorama de la musique électronique et de la musique bruitiste depuis ses débuts futuristes jusqu’à nos jours, malgré l’ampleur de la besogne, peut rapidement prêter le flanc à la critique ; le compilateur-curateur ne peut que redouter d’avoir commis un oubli fatal, au dernier moment, ou un choix discutable, qui semblait si pertinent la veille. Et bien sûr il se défendra en exposant sa méthode d’exploration, la plus ouverte et la plus éclectique possible, et précisera qu’en aucun cas il ne s’agit d’être autre chose qu’une introduction à ces musiques, un premier pas en quatorze disques, remplis à ras bord. Il nous présente des artistes connus, ou peu connus, mais surtout des artistes moins connus, de leur temps, que d’autres qui pour nous ont sombré dans l’oubli, sans générer la même descendance.

En effet dans cette entreprise encyclopédique, il est question d’évaluer, et de présenter, rétrospectivement, ce qui du passé nous est utile aujourd’hui. Comme l’ange de l’Histoire de Walter Benjamin, ce n’est que par un regard en arrière qu’on peut contempler « cette tempête qu’on appelle le progrès » et analyser la chaîne d’événements qui a mené jusqu’à nous. Mais l’histoire continue d’avancer et il faut sans cesse la réévaluer, comme la musique, car il n’est pas possible de l’interpréter comme une chose finie, figée désormais. La marche du temps fait naître des précurseurs, rétrospectivement, quelquefois loin dans le passé. Il s’agit alors de leur payer des arriérés, de leur rendre a posteriori la reconnaissance qu’ils n’ont pas reçue en leur temps et leur assurer une gloire rétroactive. Ce n’est que par une vérification méticuleuse qu’on peut s’assurer ne laisser personne dans l’oubli, et qu’on peut témoigner après coup du statut prophétique de ces artistes obscurs, trop en avance sur un public souvent trop en retard.

Bien sûr, on peut discuter cette option oraculaire, cette vision de l’artiste expérimental qui aurait une valeur prémonitoire, et peu de valeur pour son époque. Cette limitation de la recherche aux quelques artistes qui auraient ainsi réussi un test du temps, un examen de longévité, pose plusieurs problèmes, de jugement notamment. En renonçant à juger ces artistes maintenant, et en préférant voir ce qu’il en reste plus tard, on condamne les artistes les plus audacieux à la misère de leur vivant. Le jugement académique qui en fera des Mozart ou des Salieri ne sera rendu que bien longtemps après, quand plus aucun doute ne sera permis. Mais contrairement à cette prudence un peu craintive, les anthologies du label Sub Rosa ont toujours évité la facilité d’un simple regard en arrière sur ce que la culture officielle aurait entériné, et sur les seuls artistes dont elle aurait confirmé le statut de grand homme. Les premières compilations du label, à la fin des années 1980, ont immédiatement choisi de parier sur des musiciens qui ne possédaient pas encore cette reconnaissance académique, préférant leur accorder le bénéfice du doute, et miser avec confiance sur leur potentiel à long terme. Dédiées à Gilles Deleuze, elles lui empruntaient le goût pour les rhizomes, pour les ramifications tentaculaires, et cherchaient à « trouver des jonctions encore inexplorées, à relier des points imprévus pour un voyage transversal ».

Aujourd’hui encore cette série Anthology of Noise and Electronic Music poursuit la même voie sinueuse, refusant l’ordre historique pour y préférer l’achronologie, balayant les clivages entre les genres, les époques et les statuts, pour au contraire connecter des choses déconnectées. En mettant sur un même pied, sur un même plan, des artistes de tous horizons, il s’agit encore une fois de refuser les hiérarchies culturelles, et de remettre en question une classification comme celle de « musique sérieuse ». En effet, l’histoire de la musique expérimentale, électronique, ou bruitiste, est, elle aussi, un grand zigzag à travers les catégories. Chacun s’en réclame la paternité, chaque école ou chapelle s’en veut le maître, le protecteur, et le seul juge. Mais personne ne pourra prouver, au-delà de la profession de foi, qui, des franc-tireurs de la techno, ou des laboratoires officiels de musique concrète, aura plus fait pour l’avancement de la cause, ou qui, des bricoleurs du BBC Radiophonic Workshop ou de Karlheinz Stockhausen, aura plus fait pour la popularité de cette musique. Dans le doute, la question restera une polémique politique, et matière à rodomontades cocardières. La seule manière pour trancher cette question est de l’évacuer, et de présenter des artistes qui, hors du carcan des genres et des étiquettes, ont contribué à l’évolution d’un genre en continuelle mutation qui veut lui aussi librement explorer toutes les possibilités, s’engouffrer dans toutes les voies de traverses, et ne pourra jamais être considéré comme définitivement cerné, cadré. Il faudra donc, pour continuer à l’appréhender, remettre perpétuellement en question les histoires officielles, et reprendre, dans l’intérêt du présent, la réévaluation systématique du passé. (Benoit Deuxant)

Artists

ANTHOLOGIE