OTOMO Yoshihide

Îlots: Bonjour! (également relié aux ilots Bruits, Utopie)
Glossaire: Action painting, Boucle / loop, Bruitisme (génère du bruit pur / inclus les micro-sons amplifiés), Déstructuration, Feedback / Larsen, Flicker , Grain / Matière, Haute fréquence, Installation sonore / Sculpture sonore, Instant music / improvisation libre, Instruments de musique préparés / modifiés, Instruments détournés / Matériel détourné, Live electronics, Manipulation d’objets, Musique électro-acoustique, Noise, Platinisme, Sons parasites, Stridence

Multiple Otomo est un projet composé d’un CD et d’un DVD qui présente une série de trente vignettes vidéo explorant différentes techniques musicales utilisées par le musicien japonais Yoshihide Otomo. Depuis près de trente ans ce multi-instrumentiste s’est attaqué à tous les répertoires, du jazz au sampling, de l’improvisation maximaliste à la composition ultraminimaliste. Il s’est taillé une réputation totalement méritée de défricheur et d’innovateur, mettant à l’épreuve le matériel comme la forme.

Multiple Otomo est à la fois un projet didactique, examinant son approche radicale des instruments, qu’il modifie ou détourne, et un projet artistique qui se propose d’apporter un complément visuel à sa musique. Les films explorent un par un l’arsenal des ressources inventives du musicien. Chacune des pièces possède sa logique, son rythme, son code visuel. On y dissèque une par une les différentes approches de la guitare, des platines ou du générateur de fréquence qu’il utilise dans son travail en solo. Si les films sont excessivement inspirants et enthousiasmants, il ne s’agit pas toutefois d’une méthode d’apprentissage, et, malgré des plans très précis, quasi chirurgicaux, des appareils, des mains, des gestes, on serait souvent bien en peine de reproduire ce qui nous est proposé à l’écran. L’intérêt du projet est surtout de faire exploser le cadre traditionnel de la musique pour y introduire une réflexion sur la nature du son, sur le maniement des instruments, sur l’introduction de nouvelles machines et le détournement d’anciennes, sur la liberté de l’improvisation. Le spectre sonore est lui aussi grandement élargi pour incorporer des matériaux rarement utilisés en dehors de la musique expérimentale : le bruit blanc, le feedback, les hautes fréquences, le craquement des vinyles, des déflagrations en tous genres, le ronronnement des amplis, ou encore la masse des platines.

Les trente courts métrages ont été tournés par trois vidéastes différents : Masako Tanaka, Michelle Silva et Tim Digulla, sous la supervision de Naut Humon, le patron du label Asphodel, et de Yoshihide Otomo lui-même. Ils mélangent une approche documentaire quasi fétichiste, examinant chaque événement comme au microscope, à une démarche artistique radicale, très esthétisée, qui semble faire écho au travail du musicien, reproduisant la violence de son jeu dans la succession rapide, stroboscopique, de certains plans, et se faisant plus contemplative dans les moments plus sereins. Il s’agit souvent d’une création vidéo autant que d’une création musicale ; certaines actions par exemple sont faites pour la vidéo uniquement, et d’autres ne fonctionnent que par elle, comme si le musicien avait ajouté à ses techniques instrumentales une nouvelle série de méthodes encore, par le montage vidéo, créant certains morceaux en salle de post-production. Et du montage, il y en a énormément dans ces films, trop parfois semble-t-il ; découpage ultrarapide, split-screen, écrans multiples, effets numériques, c’est un bombardement hyperkinétique qui semble ne jamais pouvoir se calmer. Mais cette surexcitation correspond en grande partie à la musique de Yoshihide Otomo, qui fait ici la démonstration de quelques-uns de ces procédés le plus violents. De démontages en démolitions, ces procédés passent souvent par la destruction des instruments abordés, les disques sont brisés puis brûlés au chalumeau, les platines sont désassemblées, englouti sous la peinture, attaquées à la scie circulaire, etc. Comme il y a dans la musique contemporaine une esthétique de l’erreur, de l’échec, il y a ici une esthétique de la destruction, une esthétique cette fois joyeuse, une allégresse qu’on peut associer à ce que Fischli & Weiss appellent le plaisir de l’abus, du mauvais traitement, de l’usage impropre des objets .

Cette ivresse et cette frénésie ne doivent pas nous tromper. Derrière cette sauvagerie bon enfant se dissimule une remise en question perpétuelle de la musique, et pour ce faire, une certaine violence est parfois nécessaire. Yoshihide Otomo a pu ainsi se renouveler continuellement, revendiquer le noise comme son contraire, la surenchère d’information de son groupe Ground Zero comme le « no-information music » du projet Filament. Depuis ses débuts dans le sampling et le collage, jusqu’à ses projets actuels, c’est une même fascination pour le son qui l’anime, un même désir d’abattre les cloisons entre les genres et de pulvériser les limites du possible et de l’approprié. (Benoit Deuxant)

Artists

OTOMO, Yoshihide