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Glossaire: Abstraction, Accumulation, Cinéma structuraliste, Déstructuration, Détails agrandis / Micro-sons, Flicker , Found Footage, Grain / Matière, Mise en scène du corps, Pionniers, Sons parasites, Souffle

Au cœur des approches conceptuelles de l’art d’avant-garde se trouve bien souvent une idée de réflexivité, d’introspection, une volonté d’examiner son propre état, de se pencher sur ses propres pratiques, et de faire de cet examen la base d’un nouveau processus créatif. Cette remise en cause part du désir de sortir du spectacle classique de l’art, d’en analyser les codes et les manières de faire, et réclame d’intervenir directement, de manière critique, sur le matériel, les instruments ou les techniques, de chaque forme artistique. Les compositeurs remettent ainsi continuellement en question l’écriture, la partition, et les musiciens leurs instruments. Les cinéastes de l’avant-garde britannique, associés de près ou de loin à la London Film-Makers’ Co-operative, ont été dans les années 1960 et 1970 parmi les plus audacieux à suivre cette voie, expérimentant plusieurs méthodes, techniques et démarches, s’attaquant de front au matériau cinématographique, aux procédés et aux conventions du genre.

Leurs travaux cherchaient à élargir les possibilités du cinéma en recourant à des formes nouvelles de montage, à des interventions directes sur la matière, sur la pellicule, et à de nouveaux modes de projection. À l’opposé des codes traditionnels, ils prônaient et pratiquaient un cinéma échappant à la « structure temporelle illusionniste » du cinéma narratif. Chez eux, les plans sont fixes ou stroboscopiques, toute continuité est bouleversée ; ils refusent de reproduire un quelconque temps réel, et préfèrent la répétition, l’ellipse ou l’immobilité à toute forme de naturalisme. Influencés par la contre-culture underground américaine, par le cinéma d’Andy Warhol ou de Michael Snow, et par le cinéma structurel, ils vont entamer une réelle déconstruction de leur activité. La matière première, la pellicule, va être coloriée, agrandie, sur- ou sous-exposée, masquée, surimpressionnée, cousue à la machine, percée, brûlée, remplacée par du papier, déchiquetée, les plus radicaux iront jusqu’à s’en passer totalement. Le tirage et le développement seront inclus dans le processus créatif du film, la production physique de celui-ci en constituera ainsi une part essentielle. Le cinéma deviendra son propre sujet. Mais loin de produire des œuvres froides, purement conceptuelles, il s’agira, malgré son importante dimension théorique, d’un cinéma sensuel, organique, dans lequel la matière du film est mise en avant, visible autant, sinon plus, que l’image. Les théoriciens d’un cinéma structuraliste ou structurel-matérialiste – comme l’appellera Peter Gidal – vont la soumettre à des dégradations diverses (surduplication, produits chimiques) et lui appliquer boucles, filtres ou caches. Pour eux, le film est une matière à sculpter, un matériau toutefois différent des autres parce qu’il inclut une dimension temporelle. Au-delà de ses pratiques les plus radicales, le cinéma expérimental restera en effet toujours lié à ses éléments fondamentaux : le temps et la lumière.

La London Film-Makers’ Co-operative était une organisation autogérée par les artistes, créée dans le but de distribuer et de promouvoir des œuvres jugées trop peu conventionnelles pour le réseau culturel classique. Sa structure permettait aux cinéastes de contrôler chaque étape du processus créatif et de disposer d’ateliers, d’équipes et de salles. L’association avait ainsi ses entrées au Arts Lab, un centre multimédia alternatif de Londres, possédant une salle où l’on projetait généralement deux films en même temps sur le mur du fond, ou au club UFO, une salle rock où se produisaient alors Soft Machine ou Pink Floyd. Dans ce contexte, la projection deviendra elle aussi une part importante du processus, nécessitant plusieurs projecteurs, l’utilisation de boucles, une intervention sur la matière en direct. Le réalisateur va interagir avec l’image projetée, la manipuler devant le public et non plus à l’écart dans une salle de montage ou une cabine de projection. Par opposition à l’idée de fixer sur la pellicule une image, une histoire, plusieurs artistes vont choisir pour leurs œuvres la forme de l’installation, voire de la performance, mettant ainsi l’accent sur l’aspect éphémère de leur travail. (Benoit Deuxant)

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