HINANT Guy-Marc

Îlots: Bonjour!

« Si on doit agrémenter le regard, c’est qu’il y a un problème.
Ce plan d’ailleurs est très très beau je te signale au passage. »

David Toop est journaliste, explorateur, musicien, écrivain et collectionneur de disques. C’est à partir de ce dernier élément que Guy-Marc Hinant et Dominique Lohlé vont entamer son portrait, le séquestrant durant plusieurs jours afin qu’il leur explique et fasse entendre sa collection. Le set-up sera simple, David Toop en chaussettes, dans son fauteuil, un fauteuil déplacé pour l’occasion du salon à la fenêtre. La mise en scène est minimale et elle sera constamment révélée, avouée, avec une belle fausse légèreté. Seul Toop semble vouloir jouer le premier degré, et prendre son rôle très au sérieux, et va tenter de structurer la présentation jusqu’à ce que cette structure s’épuise, comme lui.

Dès l’introduction, la systématique s’installe, interview-monologue de Toop, fondu au noir pendant l’écoute. Toop, donc, prend la musique très au sérieux. Ce n’est pas un reproche, il a même sans doute raison. Il a passé sa vie à chercher les disques, trouver des infos sur ces disques (à une époque où l’internet n’existait pas) puis en enregistrer lui-même, et ici il nous en fait profiter. C’est un privilège. Il faut en être conscient. Jamais pourtant il ne va montrer sa fierté de collectionneur, se vanter de la rareté de ses pièces. Pourtant, sa vie entière tourne autour de ces disques et de ces musiques, il est journaliste parce que musicien, explorateur parce que collectionneur, écrivain pour toutes ces raisons. Toop va structurer son monologue comme un flot continu, d’association en association, et rapidement arriver à une question clé : Qu’est-ce qui est de la musique ? Qu’est ce qui n’en est pas ? Partant de la musique traditionnelle, on le suivra jusqu’au field-recording, puis à sa collection d’enregistrements de la faune, avec de fabuleux oiseaux du Venezuela, qui nous amèneront naturellement à la musique électronique, puis bien sûr à Bo Diddley. La fameuse question se posera dès les premières musiques sacrées, les premiers enregistrements de rituels. Peut-on écouter ces disques comme de la musique, « seulement » comme de la musique ? Toop définira l’objet-disque, l’enregistrement, comme le document d’une expression humaine. Il insistera sur l’enregistrement d’une atmosphère, d’un lieu, par opposition à la qualité technique d’un studio. C’est une vision qui a bien entendu conditionné sa collection mais aussi sa vie de musicien, le poussant vers l’improvisation plus que vers la musique formelle, l’attirant vers le sound-art plus que vers la musique. La séduction de l’écoute le fera passer des instruments traditionnels aux instruments inventés, ce qui le verra publier New / Rediscovered Instruments, un livre, puis un disque avec Max Eastley sur le label Obscure de Brian Eno. C’est cette même séduction qui le poussera à partir en expédition au Venezuela pour enregistrer les cérémonies chamaniques des indiens Yanomami. C’est cette séduction qui le mènera à réaliser l'étrange et magnifique Buried Dreams (avec Max Eastley toujours), un album étrange rempli à ras bord de samples de musique traditionnelle, de field-recordings en tout genre, d’improvisations sur des instruments inventés, étalés couches après couches jusqu’à en déborder, jusqu’à saturer l’auditeur de sensations contradictoires.

Comme les autres films de la série (Observatoire des musiques électroniques), I Never Promised You a Rose Garden est autant une rencontre avec une personne qu’avec un sujet. Dans le cas présent, la poursuite de la rencontre jusqu’à une forme d’épuisement (épuisement physique mais jamais épuisement du sujet) apporte une perspective oblique sur le musicien, sur le journaliste. Après des journées passées à écouter des disques, parfois des faces entières de disque en silence, puis à envisager l’enchaînement avec la suite, à se concentrer sur un commentaire pertinent, une justification de son choix, de l’association d’un disque à un autre, on comprend la pression exercée sur Toop, mais aussi le désir de poursuivre l’expérience jusqu’à l’exténuation des participants. Et surtout celle de Toop lui-même, hôte pris au piège de son invitation. Malgré tout son flegme et la modestie qu’il affiche par rapport à sa collection, il sait qu’elle est sans fond, infinie, et que ses invités sont peut-être là au finish, jusqu’à ce qu’il tombe d’inanition dans son fauteuil, l’aiguille du phono tournant à vide au bout d’un énième disque.
(Benoit Deuxant)

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HINANT, Guy-Marc